Cet article présente Thomas Lane, un personnage influent qui a contribué au développement de Rawdon dès les premières années d’existence du Canton et qui aura laissé de nombreux descendants toujours présents dans la communauté.
Laissons d’abord le journal L’Action populaire en date du 17 avril 1924 le présenter :
« Le premier catholique qui s’établit à Rawdon le fît vers 1824. Ths Lane, c’est son nom, est une figure intéressante. Ce personnage était doué de qualités et de titres que bien peu soupçonnent. Ths Lane était natif de Dublin, Irlandais par conséquent, gradué de la même Université, linguiste distingué, parlant au moins 8 langues : gaélique, anglais, français, latin, italien, espagnol, grec, allemand…..et surtout catholique convaincu et fervent, qui eût à lutter ferme contre Lord Rawdon et ses protégés, et qui le fit si bien qu’à son honneur, il fut surnommé « The Pope Lane ».
C’est lui qui a bûché le premier arbre pour la construction de l’église primitive, vers 1828. »
Ce texte a été reproduit intégralement dans l’Album souvenir des noces d’argent pastorales du révérend J.-M. Landry, curé de Rawdon daté du 8 mai 1924.
Les données du premier recensement de la population du Canton de Rawdon, réalisé en 1825 par Philémon Dugas, démontrent que Thomas Lane est déjà installé à Rawdon. Il s’y était établi avec sa femme, Margaret Wood et son premier fils, John.
Il s’installe sur le lot 25 du Rang 3
Marcel Fournier, dans son livre Rawdon : 175 ans d’histoire a transcrit et édité des données provenant de ce premier recensement et d’un relevé statistique portant sur les titres de propriétés établi en 1824. Cette transcription identifie Thomas Lane comme résident sur le lot 25 Sud dans le rang 3. L’information ajoutée par Marcel Fournier concernant les titres de propriété nous apprend qu’il ne détenait pas de titres légaux formels au moment du relevé statistique puisque le billet de location ne fut émis que le 28 mars 1826. Les lettres patentes ont été émises le 5 juillet 1831 soit quelque cinq années plus tard tel qu’en fait foi cette compilation de la liste des concessions.
Une éducation de niveau supérieur
L’article du journal L’Action populaire souligne aussi que Thomas Lane a reçu une éducation de niveau supérieur à Dublin avant d’émigrer au Canada. Des recherches par internet ont permis d’identifier deux institutions dispensant des programmes d’enseignement universitaire en Irlande à cette époque soit le Trinity College à Dublin et le St. Patrick’s National Seminary Maynooth. Ces recherches ont aussi permis de déterminer qu’en 1794, le Trinity College de Dublin, un établissement protestant, acceptait des étudiants catholiques. Si Thomas Lane y a été accepté, un tel évènement constituerait une réussite unique pour d’éventuels résidents de Rawdon. Le révérend J.E. Burton de l’Église d’Angleterre (lots 13,14 et 15 du Rang 1) était diplômé du Trinity College et la famille de William Tighe (lot 26 du Rang 10), un enseignant, croit qu’il l’était également. Il semble plus probable que Thomas Lane ait étudié au Séminaire de Maynooth. Fondé en 1795, le Séminaire de Maynooth avait pour mission de former des prêtres catholiques. Son programme d’enseignement de l’époque avait d’ailleurs une saveur francophone puisque dispensé par des prêtres fuyant la révolution française. Il y a tout lieu de croire que ce programme devait ressembler à celui des séminaires du Québec ce qui expliquerait les connaissances de plusieurs langues y inclus le latin et le grec. Avec des hommes d’une telle stature comme chefs de file dès les tout débuts, nul doute que l’éducation des enfants prenait une place prépondérante dans la communauté.
Figure dominante de la vie communautaire
Figure dominante parmi les familles ayant contribué à la création de Rawdon, Thomas Lane participa activement à l’implantation de l’Église catholique à Rawdon. La note à l’effet qu’il eût à lutter ferme contre Lord Rawdon et ses protégés est probablement utilisée au sens figuré. Un article dans le journal The Vindicator and Canadian Advertiser en date du 13 janvier 1835 rapporte une série d’évènements ayant pris place à Rawdon depuis le 6 décembre 1834. Suite à une réunion tenue au presbytère de l’église anglicane, des résolutions furent adoptées à l’effet de construire une école et de changer le nom du village. En réaction à ces résolutions, Thomas Lane et un groupe de citoyens s’y opposèrent et adoptèrent sept résolutions qui démontrent l’esprit de collaboration qui régnait entre protestants et catholiques. La première résolution stipulait que les écoles publiques de Rawdon ne devraient pas être contrôlées par tout étranger ayant tiré un trait divisant les habitants protestants et catholiques de ce canton et semant la discorde entre eux. Sur les sept résolutions adoptées lors de cette réunion, Thomas Lane en proposera trois et en appuiera deux. Parmi les autres personnes ayant contribué à l’adoption de ces résolutions, citons le Lieutenant Colonel Thomas Griffith, le Majort Robert Bagnall, Edward McGie, Edward Corcoran, John Carroll, Patrick O’Neal et John Woods.
Dans son livre Up to Rawdon, Daniel Parkinson rapporte un autre évènement qui constitue un bel exemple de la bonne volonté et de la tolérance qui existaient entre protestants et catholiques à Rawdon. Suite à ce que Daniel soupçonne être une épidémie de typhus ou de scarlatine et la mise en quarantaine de la famille Burns, trois filles en bas âge de John Burns décèderont entre le 12 et le 23 décembre 1872. Voisins des Burns qui résident au lot 21 du Rang 3, les Lane (John et Thomas fils) emmenèrent les corps des trois filles au cimetière méthodiste et les firent enterrer par le pasteur.
Un article tiré du livre Up to Rawdon (pages 1087 à 1112) intitulé « And the Boys are at the Barracks » identifie les principaux membres de la milice de Rawdon. Citant le Répertoire des officiers de milice du Bas-Canada, 1830-1848 de Denis Racine et de la Société généalogique du Québec (1986) comme source, cet article identifie les différents grades obtenus par Thomas Lane au fil des ans. D’abord officier subalterne (Ensign) à partir de 1836, il devient lieutenant en 1846 puis accède au rang de capitaine de 1856 à 1862.
La progéniture de Thomas Lane
Thomas Lane et son épouse Margaret Wood (1807-1890) auront au moins six enfants dont quatre garçons et deux filles. Un document fourni par la famille porte ce chiffre à huit enfants. Au recensement de 1851, Thomas Lane est âgé de 56 ans et son épouse de 44 ans. Ce même recensement de 1851 identifie les enfants suivants : John (27 ans), Mary (24 ans), Catherine (22 ans), Thomas (16 ans), Edward (14 ans) et James (10 ans) comme le démontre l’extrait suivant :
Au recensement de 1861, Thomas et Margaret Wood vivent encore avec Catherine, Thomas, Edward et James. Leur fille ainée, Mary (1825-1915), se joindra aux Sœurs de Sainte-Anne. Connue sous le nom de Sœur Marie-de-la-Conception, elle œuvrera dans l’ouest canadien. Leur fils ainé John (1824-1908) épousa Catherine Price, la fille de Thomas Price et de Briget McGrath à Rawdon le 10 février 1852. Catherine, identifiée par erreur comme Prince dans le livre de Marcel Fournier, se nomme plutôt Price tel que précisé dans le livre Up to Rawdon. Le nom Price est confirmé par la compilation de la liste des concessions disponible au greffe de l’arpenteur général du Québec. Thomas Price, le père de Catherine, avait obtenu, le 24 octobre 1831, les lettres patentes pour le lot 25 Sud du Rang 8. Aux recensements de 1861 et 1871, John Lane et sa femme Catherine Price auront au moins dix enfants (Margaret, Thomas, John, William, James, Edward, Mary, Catherine, Ambroise et Charles). Un document fourni par la famille de William indique neuf enfants.
Thomas Lane décèdera le 18 février 1864 à l’âge de 72 ans et sera enterré le 20 février dans le cimetière catholique de Rawdon. Dans son testament, rédigé le 15 décembre 1863 et disponible dans les actes (N⁰ 966) du notaire John Horan, il lègue son patrimoine immobilier à ses fils Thomas, Edward et James. Ce patrimoine comprend le lot 25 du rang 3 et la moitié sud-ouest du lot 24 du rang 2. À Thomas, il cède l’usage de la ferme connue sous le nom de McDermott et les 50 acres contiguës. À James, il laisse les 50 acres contenant tous les immeubles avec l’obligation d’y loger et de fournir un moyen de transport à sa mère et à sa sœur Catherine lesquelles recevront, de plus, une allocation financière. À sa fille Mary entrée en communauté religieuse, il juge qu’elle a obtenu une juste compensation par l’éducation qu’elle a reçue. Enfin à John qu’il nomme exécuteur testamentaire, il juge qu’il est amplement compensé par toute part qu’il pourra recevoir de son patrimoine. Un acte (# 85) du notaire Horan signé le 4 août 1852 indique que Thomas Lane et sa femme avaient déjà fait don à John de leur vivant.
Sa femme Margaret Wood lui survivra pendant de nombreuses années. Elle décèdera le 19 juin 1890 à l’âge de 90 ans. Elle sera également enterrée dans le cimetière catholique de Rawdon. Plusieurs des nombreux descendants de Thomas Lane et Margaret Wood vivent encore à Rawdon.
Sources :
- Recensements du Bas-Canada, des Canadas et du Canada (1825, 1851, 1861 et 1871)
- Registre des baptêmes, mariages et décès – Paroisse Saint-Patrick de Rawdon
- Compilation de la liste des concessions – Greffe de l’arpenteur général du Québec
- Rawdon : 175 ans d’histoire / Marcel Fournier, Joliette, 1974
- Up to Rawdon: Settlers at Rawdon Township, Lower Canada, C. 1820-1852: Their Origins and Continued Migration Across Canada and the United States, Volume 1 & 2 / Daniel Parkinson, 2013, 1156 pages
- Sur la route des souvenirs: gens du chemin Kildare et des environs/Collectif, 2014
- Historique de Rawdon / Journal L’Action populaire, 17 avril 1924, page 2 – disponible at BAnQ https://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/2577399
- Tradition orale et documentation de représentants de la famille Lane
Commentaires :
Sans réduire l’importance de Thomas Lane pour la communauté, certaines déclarations dans l’article du journal L’Action populaire en date du 17 avril 1924 méritent que des précisions historiques soient apportées. Les premières personnes à s’installer dans le Canton de Rawdon s’y seraient installées vers 1816. Au recensement de 1824, ils étaient 475. De ce nombre, il pourrait être possible de démontrer qu’au moins la moitié était catholique. D’une façon similaire, la lutte contre Lord Rawdon ne ferait pas référence à une lutte armée mais doit être interprétée au sens de la défense de la foi catholique.
Remerciements aux membres de la famille Lane qui ont contribué à cet article.