L'immigration russe du 20e siècle
Dès les débuts de la révolution bolchévique (1917-1923), plusieurs russes fuient la Russie et un certain nombre émigre au Canada. Ce sont des aristocrates et des intellectuels. Par la suite, une deuxième vague d’émigration russe se fit peu après la deuxième guerre mondiale. Plusieurs de ces russes s’établirent d’abord à Montréal. Par la suite, certains établirent une résidence secondaire à Rawdon.
Voici ce que M. Vladimir Boldireff, résident de Rawdon, nous a dit de cette communauté russe qui vint s’y établir, lors d’une entrevue avec la Société d’histoire de Rawdon au printemps 2023
La famille Boldireff
Le père Oleg Boldireff a fui la Russie lors de la révolution bolchévique due à la persécution de la religion par les révolutionnaires. Sa terre d’accueil fut la France à Rozay-en-Brie. Il y rencontrera sa future épouse Natalia Maliantovitch. De cette union naîtront cinq fils. Sergueï, Vladimir, Nicolaï , Andreï et Oleg Jr.
Le père Oleg Boldireff et sa famille émigrèrent au Canada en 1948 car le prêtre de l’église St-Pierre et St-Paul, église orthodoxe russe en Amérique à Montréal, décéda.
On demanda au père Oleg de le remplacer car il pouvait célébrer la messe en slavon(1) La famille décida donc de partir de la France pour Montréal. Vladimir qui est né en France en 1942 avait alors 6 ans. Notons que le père Oleg Boldireff est alors toujours un réfugié politique et n’aura enfin sa nationalité canadienne qu’à l’âge de 45 ansr
Premier contact avec Rawdon
Leur premier contact avec Rawdon fut à l’été 1949 alors qu’ils louèrent une maison pour une semaine qui était située en face du restaurant Kenny Barbecue, au coin de la rue Queen et de la 11è avenue Ouest. Cette maison appartenait au Dr. Khazatchenko, un Russe qui avait fait construire quatre maisons dans ce quadrilatère. Ils y retournèrent pendant plusieurs étés. À cette époque, la rue Queen du côté nord-ouest se terminait à la 13è avenue. Le père Oleg Boldireff fit construire un chalet (datcha en russe) sur la 17è avenue dans les années 1950 (NDLR 1955). Il avait acheté ce terrain de M. Georges Rowan qui possédait plusieurs terrains dans la partie nord de la rue Queen. À cette époque, la 17è avenue arrêtait à la maison du père Oleg Boldireff (NDLR: un peu plus loin que la rue Ste-Anne mais pas jusqu’à la rue Morgan). Père Oleg Boldireff décida alors de construire une petite chapelle jouxtant sa maison un an plus tard. Il la nomma en l’honneur de St- Séraphim de Sarov et elle servait à la célébration de la messe le dimanche pour la famille Boldireff.
Ce croquis a été réalisé par Alexis Chiriaeff époux de Ludmilla Chiriaeff durant leurs séjours en villégiature à Rawdon.
Le cimetière russe de Rawdon
Le père Oleg Boldireff comprit que les Russes de Rawdon avaient besoin d’un cimetière dans la municipalité. M. Ross Lawes(2), famille anglaise aisée, donna l’argent au père Oleg Boldireff pour qu’il achète le futur terrain du cimetière. L’ingénieur M. Skotetsky est celui qui fit les plans du cimetière. Il planifia l’entrée d’eau, d’électricité et les allées. Ce cimetière a été terminé en 1961 et est situé sur la rue Woodland au niveau de la rue Petrograd. Plus tard, la chapelle du père Oleg Boldireff sera déménagée au cimetière. Le cimetière devait quand même être rattaché à l’église St -Pierre et St-Paul. M. Vladimir Boldireff croit que c’est également M. Skotetsky, quoique avancé en âge, qui aurait également fait les plans du cimetière oecuménique de Rawdon sur la route 337( extension de la 3è avenue vers St Alphonse et le chemin Forest.
Le père Oleg Boldireff prit sa retraite du sacerdoce à l’âge de 75 ans car il n’avait plus la force de diriger une paroisse. Durant sa vie religieuse active, père Oleg a établi plusieurs paroisses orthodoxes Russes en Amérique du Nord surtout aux État -Unis et d’autres au Canada. Mentionnons Détroit, Vancouver, Rawdon. Ottawa fut la dernière.
Vladimir Boldireff
Vladimir Boldireff était professeur d’éducation physique au CEGEP du Vieux Montréal et était féru de volleyball. Avec l’équipe du Y.M.C.A. de Montréal Il a gagné le championnat québécois de volleyball de 1966 mais pas le championnat canadien de la même année . La Palestre Nationale, sur la rue Cherrier à Montréal, formait des équipes élites dans plusieurs disciplines, mais n’en avait aucune en volleyball. On demanda à M. Boldireff de former une équipe au niveau juvénile(junior). Et cette équipe fut la meilleure du Québec. Elle gagna le championnat provincial junior et le championnat canadien junior alors que M. Boldireff était joueur – entraîneur. Cette équipe joua également aux États-Unis dans différentes villes telles que New York, Rochester etc. En 2008, son équipe de la Palestre nationale a été intronisée au Temple de la Renommée de Volleyball Québec.Plus tard, M. Boldireff a été demandé pour diriger la section masculine de la Fédération de volleyball du Québec. Cette fédération formait les futurs entraîneurs de volleyball.
Aussi, Vladimir entraina au volleyball plusieurs nouveaux arrivants à Rawdon, lors de parties amicales entre groupes ethniques.
Vladimir Boldireff rencontra sa future épouse lors d’une partie amicale de volleyball entre Russes et Polonais de Rawdon sur le terrain de l’ancien Hotel Look Out Park sur le domaine Pontbriand Sud. Il y rencontra une Polonaise du nom de Marie (Marushka) Czetwertinsky qui était de descendance princière. Quelques deux mois plus tard, ils se marièrent et eurent quatre enfants: Alexandra, Yuri, Vladimir Jr. et Gregory. Ils venaient à Rawdon pour les vacances d’été dans une petite maison(datcha) que Vladimir avait construite sur la rue Ashland à Rawdon. Plus tard, ils construisirent une grande maison au même endroit qu’ils habitèrent surtout à leur retraite. M. Boldireff nous mentionna qu’après 1960 il y avait beaucoup moins de Russes à Rawdon.
Les Russes de Rawdon
Parmi les Russes de la première et deuxième vague d’immigration qui demeurèrent à Rawdon soit l’été ou à leur retraite, il y a eu M. Orloff qui était un vétéran de la première guerre mondiale et qui était armateur. Il avait une datcha à Rawdon. Il y avait aussi M. Kamaroff qui au début des années cinquante avait acheté tous les terrains en partant de la 13è avenue côté Nord Ouest de la rue Queen, jusqu’à la coulée dite de Rowan (grand ravin au bout de la 17è avenue). Une certaine Mme Jacob possédait une maison en face de celle de M. Tourangeau (qui était dans les environs où la 11è av. rencontre la 12è av.) là on trouve aujourd’hui un petit parc et des casiers postaux (NDLR: Parc PhilipTinkler). Mme Jacob louait des chambres l’été à des Russes et M. Ross Lawes (2) était un de ses pensionnaires. Il n’était pas Russe, mais a été impliqué dans l’organisation de certains événements russes à Rawdon que nous verrons plus loin dans le texte. Sur la 13è avenue on trouvait une certaine Mme Petroffsky, une veuve dont le mari était prêtre à Montréal avant que le père Oleg n’y arrive.
M. Skotetsky, personnage important, était ingénieur de formation et a été impliqué dans la construction du premier pont Champlain. Il a également été impliqué dans la construction du boulevard Métropolitain à Montréal. Il venait à Rawdon l’été et y resta à sa retraite. C’était un cadet Russe et il était membre de l’Église Orthodoxe Russe hors Frontière, l’autre division de l’Église orthodoxe Russe établie au Canada qu’on appelle aussi Notre Dame de Kazan. Un corps de cadets russes était une école militaire d’élite de niveau secondaire en internat, et ceux qui étaient promus allaient directement aux établissements d’enseignement supérieur.Ils détenaient tous des baccalauréats, des maîtrises et des doctorats. Il y en avait une à Rostov sur le Don, en Russie, dont le père Oleg Boldireff y avait gradué. Lors de la révolution Bolcheviques, les écoles de cadets quittèrent la Russie pour s’établir en Europe dans des pays comme la Yougoslavie ,la Bulgarie et l’Égypte. L’église Notre Dame de Kazan se trouvait originellement dans une maison située sur la rue Vincent Massey entre la 6è avenue (route 348) et la 1ère avenue (route 337). Elle fut détruite par les flammes et on en construisit une nouvelle sur la rue Sunshine. Deux autres personnages intéressants furent Georges et Marie Levtchouk qui possédaient une maison au coin de la rue Shakespeare et Domaine Pontbriand. Georges a aidé le Père Oleg à bâtir sa chapelle. Il était aussi cadet Russe.
Il a été d’une aide précieuse pour l’église orthodoxe russe hors frontières. Son épouse Marie Levtchouk, était très active et a été présidente du Centre d’Interprétation Multiethnique, sur la rue Metcalfe à Rawdon, et a été directrice de chorale et d’animation pastorale. Quant à M. Perevlostok(ou Pereklostok), il était président mondial des cadets Russes. Il habitait à Rawdon l’été et y prit sa retraite. Finalement, les Chiriaeff avaient une petite maison en face des Boldireff sur la 17è avenue et étaient très amis avec eux. M. Chiriaeff était artiste et a contribué aux plans de la chapelle du père Oleg. Quant à Mme Ludmilla Chiriaeff, elle était danseuse de ballet et chorégraphe et elle créa Les Grands Ballets Canadiens. Elle reçut d’ailleurs plusieurs distinctions dont Officier et Compagnon de l’Ordre du Canada pour l’ensemble de son œuvre. Elle repose aujourd’hui au cimetière russe de Rawdon et il y a une statue de bronze de Mme Chiriaeff qui se trouve sur le terrain du Centre d’Interprétation Multiethnique de Rawdon.. Un jeune de Rawdon, Richard Rochon, qui habitait chez sa tante était ami avec Avde Chiriaeff, un des fils de Ludmillla Chiriaeff, et les visitait. Il remarqua la petite chapelle du père Oleg de l’autre côté de la rue et s’y intéressa. Ce furent ses premiers contacts avec cette religion et aujourd’hui il est archevêque de l’Église Orthodoxe Russe d’Amérique. Son nom de moine est Irénée Rochon.
Les événements Russes à Rawdon
M,Ross Lawes, anglais fortuné, a déjà organisé et financé un camp scout à Rawdon pour les jeunes scouts Russes de Montréal de la paroisse St-Pierre et St Paul. Le frère aîné de Vladimir Boldireff y a participé. Ce camp avait eu lieu en face du Temple de Jéhovah qui est aujourd’hui sur la 6è avenue( route 348). M. Ross Lawes avait acheté ce terrain.
Des camps scouts Russes de Montréal avaient lieu près du lac Aux Sources. Ce lac avait été créé par M. Sakaroff qui avait acheté beaucoup de terrains dans les environs du lac Fer à Cheval. Il défricha beaucoup de terrains et ce lac était alimenté par des sources naturelles. Il fallait passer par le lac aux sources pour aller au lac fer à cheval. M. Koatsky avait acheté plusieurs terrains avant ceux du lac aux sources. Sur la route 337, plus loin que le cimetière oecuménique,il y a une grande côte. C’est là en haut de cette côte , du côté droit, que M. Koatsky a acheté plusieurs terrains et c’est là que le camp scout Russe se tenait; ce camp pouvait durer jusqu’à un mois. Il y a eu aussi les piqueniques de la paroisse St Pierre et St Paul qui avaient lieu dans le domaine Pontbriand. Ces piqueniques ont débuté dans les années trente alors que la route du domaine Pontbriand était en gravier avec de l’herbe qui pousse au milieu. Le dernier de ces piqueniques a eu lieu lors des dernières régates au domaine Pontbriand.
Vladimir Boldireff avait 46 ans quand il s’est joint à l’Association Cosaque de Montréal. Il nous expliqua que les cosaques étaient originellement des peuples guerriers et nomades.. Ils étaient chrétiens, démocratiques et libres. Ils élisaient leurs chefs militaires (ataman) lors d’assemblées générales. Pierre le Grand, tsar de Russie en 1682, a maté les cosaques du Don (fleuve en Russie) et pendant les 200 dernières années ils ont été au service du tsar. Ils servirent comme troupe de choc pour protéger les frontières Russes d’une invasion ennemie(3). Lors de la révolution bolchévique plus de la moitié furent massacrés dans le Tyrol en Autriche.
L’association cosaque de Montréal, qui en est une parmi les associations cosaques d’Amérique du Nord, a été créée pour commémorer les traditions et coutumes cosaques. C’est une organisation non-politique qui fut fondée il y a environ 70 ans et qui célèbre quatre évènements majeurs par année. À Montréal, le 1er octobre, on commémore le nom du fondateur des cosaques, l’ataman, Kahlidin, 1er chef des cosaques qui fut élu après la révolution bolchévique . À Montréal il y avait également la plus grande des fêtes en l’honneur de la Ste-Vierge, patronne des cosaques. Le 1er juin, au cimetière Russe de Rawdon, on commémore les milliers de cosaques qui ont péri dans le Tyrol en Autriche. On célébrait un service religieux et un monument situé à côté de la grosse pierre au cimetière Russe y a été érigé pour honorer leur mémoire. Ceci était suivi d’un piquenique qui avait lieu sur un terrain non loin du chemin Labrèche sur la route 341, un des derniers terrains avant St-Liguori. Ce terrain avait auparavant appartenu à M. Arbousoff.
Cérémonie conjointe, Légion Canadienne de Rawdon , branche 198 et le clergé orthodoxe pour commémorer les combattants russes de l’armée canadienne et ce jusqu’en 2013. Cimetière Russe , rue Petrograd, Rawdon
Le jubilé du 60è anniversaire de l’association cosaque de Montréal fut célébré au collège Champagneur de Rawdon du 20 au 22 juin 2008 (le Cossakfest). La mairesse de Rawdon était alors Louise Major et elle fut invitée à assister à certaines célébrations. Les cosaques de partout en Amérique du Nord y étaient invités. On commença les célébrations par une prière suivie de discours et ensuite une grande chorale chanta l’hymne des courageux cosaques du Don.
Chorales Russes
Lors de la fête de St -Séraphim, le 1er août, ( on s’arrangeait pour que ca tombe une fin de semaine ) il y avait beaucoup de paroissiens de Montréal qui venaient à Rawdon pour cette célébration et une grande chorale y chantait. Lors de la célébration de la fête de Notre Dame de Kazan le 24 juillet, il pouvait y avoir jusqu’à 200 personnes présentes et une grande chorale y chantait. D’ailleurs, lors de tous les services religieux il y a une chorale qui y chante.Il y aurait eu, à deux occasions différentes, une chorale Russe qui serait venue chanter au Centre d’Interprétation Multiethnique,rue Metcalfe à Rawdon.
Contribution aux arts
Le premier mari de Ludmilla Chiriaeff, Alexis, était un artiste peintre et il a peint plusieurs tableaux de la nature de Rawdon. Dans la religion Russes il y a un iconoclaste, ou des icônes, qu’on appelle les portes royales qui sont les quatre évangélistes et ils ont été peints par M.Alexis Chiriaeff dans la chapelle du père Oleg Boldireff. On peut les voir aujourd’hui dans l’église au cimetière Russe de Rawdon.
M.Gibson était russophone car il avait épousé une russe qui était peintre. Ils habitaient à coté de M. Boreiko sur la 14è avenue à Rawdon. M. Popov , un grand maître, était également peintre. M. Kartasoff faisait partie du cercle des artistes de Rawdon; Il était ami avec M. Olesko- Ferhorn qui peignait à l’huile et avait créé avec Denise Rowan le Cercle des Artistes de Rawdon.
Les faïences de Rawdon.
Comme déjà noté, Vladimir Boldireff était marié à la Polonaise Marie Czetwertynski. Comme les Russes aimaient donner des surnoms, celui de Marie était Marushka. Lorsqu’ils habitaient à Montréal, André Zubick, un Polonais fraichement arrivé à Montréal avait été accueili par Marushka et demeurait dans leur sous-sol. Cétait un ébéniste et il avait enseigné à Marushka l’art de construire des meubles sans clous, embouvetés avec une finition en queue d’hirondelle. Plusieurs des meubles de leur maison avaient été fabriqués par Marushka. Alors qu’ils étaient encore à Montréal, elle rencontra un grand faïencier Français de Montréal qui lui enseigna l’art de la faïence. Lorsqu’ils déménagèrent à Rawdon, elle continua à pratiquer cet art et développa sa propre technique. Marushka fit de petites expositions à Rawdon puis à Joliette.Par la suite, ils demandèrent la permission d’exposer au salon des métiers d’art du Québec. Ils y firent alors des expositions pendant plusieurs années. C’est devenu affaire de famille alors que Marushka tournait les pièces et Vladimir les nettoyait . Plus tard le tournage des pièces fut donné à contrat pour que Maruska puisse se concentrer sur les glaçures.Elle devint éventuellement membre du Conseil des Métiers d’Arts du Québec. Marushka s’étant fait des clients réguliers et ne faisait plus que des commandes spéciales.On peut voir plusieurs de ses œuvres ci-bas.
FIN
(1) Le slavon est une langue artificielle développée à partir du vieux slave et utilisée anciennement comme langue religieuse et littéraire en Russie, Serbie et Bulgarie. Cet article est extrait de l’ouvrage Larousse: Dictionnaire mondial des littétratures.
(2 )article: La vie paroissiale, d’après Olga Melikoff, article paru en 2007 sur internet. Dans l’article Mme Melikoff dit que son père(M. Ross Lawes) était marié à Ekaterina Semionovna.
(3)Article: Que faut-il savoir au sujet des Indomptables cosaques Dans: Russia Beyond, article écrit par Gueorgui Manaiev, 20 juillet 2020